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À l’heure de l’émergence des économies africaines : La prise en compte du risque de conflit dans la Gouvernance des grands projets d’infrastructure.

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Introduction

La disponibilité d’infrastructures en quantité et qualité est un des principaux leviers d’émergence pour le développement des pays africains en proie à un manque endémique d’infrastructures structurantes susceptibles de soutenir leur rythme de croissance.

Dans un contexte d’émergence des économies africaines, les grands projets d’infrastructures connaissent un réel essor. Cet essor intrinsèquement dû à un énorme besoin et à une forte croissance de la population, transforme profondément les environnements, les communautés et les économies et peut souvent générer divers conflits. C’est ainsi que ces grands projets d’infrastructures sont fortement soumis à des risques divers et variés tels que le risque de conflit, notamment des procédures contentieuses coûteuses sources de nombreux échecs et abandons de projets.

De plus, les mégaprojets d’infrastructures des pays en développement sont en général exposés au risque de conflit en raison de la diversité des consultants, des parties prenantes, des équipes de projets, des promoteurs, etc., en termes d’origine, de culture, de méthodes managériales et de comportements mais surtout de législations propres à chaque aire géographique. Dans cette optique de management de projet, programme et portefeuille, les caractéristiques et exigences particulières liées à la mise en œuvre, les interfaces et interactions diverses et variées entre autres, déterminent le caractère inhérent du conflit au niveau des projets.

Les risques sources de contentieux sont devenus préoccupants et constituent un potentiel facteur d’échec qui impacte deux projets sur trois et représentent un sérieux défi aussi bien pour les Etats que pour les investisseurs et autres parties prenantes des grands projets et programmes. Avec la mondialisation et l’insécurité conjuguée à l’instabilité croissante de certains Etats, les risques de conflit prennent des proportions considérables notamment dans certaines régions d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine.
Le risque de conflit qui peut impacter négativement le développement d’un projet pendant sa mise en œuvre  ou son exploitation par le déclenchement d’un conflit violent, constitue une sévère menace pouvant atténuer la rentabilité des grands projets d’infrastructures.
Ce potentiel risque se manifeste souvent par des conflits internes, externes, des blocages orchestrés par des communautés locales, des sabotages d’installations ou des destructions de matériels, des enlèvements ou agressions physiques du personnel, le déclenchement de violents affrontements de la part de groupes bien armés exigeant aux promoteurs de projets le versement de rançons. Au final, tous ces signes ou expressions de violence peuvent imposer des coûts directs ou indirects à un investissement donné voire compromettre la réussite de bon nombre de projets.
C’est dans ce contexte particulier que les managers de projets entrepris dans les pays émergents et en développement, doivent adopter une stratégie visant à atténuer leur exposition aux risques de conflit. Ainsi les multiples arrêts et interruptions récurrents d’activité dus aux conflits, peuvent engendrer des dépassements de coûts importants. Tous ces développements peuvent affecter directement la capacité d’un projet à honorer ses échéances de remboursement de sa dette en temps réel ou alors altérer voir inhiber son rendement attendu.

Aujourd’hui, de multiples méthodes et techniques pour évaluer les risques environnementaux, sociaux et politiques permettent de reconnaître que celles-ci sont souvent inadéquates et inappropriées en termes d’évaluation du risque de conflit et ne permettent pas d’examiner systématiquement les corrélations et interactions réciproques entre les projets et le contexte de conflit dans lequel ces derniers sont développés et entrepris.

C’est  dire alors que les grands projets d’infrastructures des économies émergentes sont potentiellement exposés au risque de conflit en raison de leur nature, de la structure de financement ainsi que des exigences en termes de terre, de déplacements de populations, de biens, de matériels qu’ils exigent, de procédures et de processus.
L’impertinence et le manque de fiabilité des techniques de prévention et d’évaluation des risques de conflit se reflètent nettement dans les stratégies existantes utilisées pour gérer les risques de conflit ; en particulier, le recours à l’assurance contre les risques politiques pour atténuer ces risques est problématique.

Bien que les instruments d’assurance ou de couverture permettent de se protéger dans des cas précis contre la violence politique et d’autres événements, cette couverture est coûteuse et ne couvre pas nécessairement les risques de conflits internes et externes auxquels sont exposés et confrontés les grands projets d’infrastructures.

Si certains ont la quasi-certitude que le risque de conflit a un coût et est en mesure de compromettre la rentabilité de bon nombre de projets et programmes, d’autres s’interrogent sur la capacité des grands projets d’infrastructures à aggraver  les tensions naissantes, existantes et latentes tout au long du cycle de vie des projets.

Malgré ce qui semble être un argument solide en faveur d’une prise en compte du potentiel risque de conflit, le constat en est autrement. Bien que certains promoteurs de projets tentent d’introduire des mesures visant à réduire le risque lié aux retards, l’évaluation et l’atténuation des risques du projet peuvent ne pas inclure une analyse approfondie des impacts des risques de conflit. De ce fait, le risque de retards ou d’arrêts occasionné par un conflit, peut ne pas être traité de manière adéquate et appropriée.

Cela s’explique en grande partie par l’inexistence à l’heure actuelle de techniques et modèles d’évaluations fiables, permettant de quantifier et d’estimer avec précision les coûts supplémentaires qu’un projet pourrait engendrer à la suite d’un conflit.

Dans un contexte d’émergence des économies africaines, les Etats et investisseurs consentent de lourds investissements notamment dans le cadre de grands projets d’infrastructures et d’extraction de ressources naturelles. Ces investissements sont souvent liés à des conflits violents aux niveaux local et national en raison d’interactions avec certaines sources de tensions notamment le sous-développement économique, l’expropriation, la relocation, la dépendance à l’égard des ressources naturelles, etc.

Conflits externes:

  • Etat  versus Populations

Les conflits liés aux projets ont pris des proportions assez importantes ces dernières années. Ce sont souvent d’abord les populations locales qui se soulèvent en manifestant leur hostilité et leur ferme opposition à un certain nombre de projets qu’elles n’agréent pas, qui impactent fortement leurs habitacles et modifient profondément leur mode de vie (expropriation, etc.).

C’est pourquoi il incombe aux commanditaires,  l’Etat, les planificateurs, les décideurs ou les entrepreneurs privés de parer aux risques pouvant être liés aux déplacements contraignants de populations et leur réinstallation et d’adopter en amont une concertation et un consensus soutenus par une méthode participative.

  • Etat versus Investisseurs/Promoteurs

Il est fréquent que certains grands projets d’infrastructures déjà en cours soient stoppés net ou déviés de leur trajectoire à la suite de l’arrivée au pouvoir d’un nouveau régime. Les désaccords entre  investisseurs,  maîtres d’œuvre ou promoteurs et les Etats sont fréquents et imposent des surcoûts conséquents qui finissent par alourdir les lourds investissements déjà consentis. Les sources de divergences peuvent être entre autres diverses et variées (litiges fiscaux, redevances, taxes, corruption, instabilité des lois, changement de réglementation, ingérence, révisions ou ruptures de contrats, retrait de licences, de permis, de concessions, défauts de qualité, de paiements, retards de livraison, etc.)

  • Promoteurs versus Populations

Les grands projets d’infrastructures entrepris dans le cadre de l’émergence des économies africaines dans des terres,  territoires et autres lieux des communautés locales sont souvent sources de conflits entre ces populations et les promoteurs des projets, qu’ils soient publics ou privés. Ces grands projets d’infrastructures requièrent des terres qui ont également une signification socio- culturelle et écologique majeure pour les populations et qui constituent souvent leur seul et unique moyen de subsistance. 

Les promoteurs de ces projets, qu’ils soient du gouvernement ou du secteur privé, usent souvent de leur pouvoir  par le biais des pratiques d’expropriation, de réinstallation des communautés locales, ce qui peut être une source de ressentiment et de protestation contre le projet de la part de ces communautés.

En outre, la réinstallation peut avoir un effet secondaire sur le conflit en attisant des tensions entre les communautés nouvellement réinstallées et les communautés d’accueil (exemple : agriculteurs et éleveurs). Bon nombre de grands projets entrepris au cours de ces dix dernières années ont été sévèrement impactés par ce risque de conflit qui leur a affligé des surcoûts conséquents, dus à de lourdes indemnisations, des arrêts, des blocages, des modifications de conception et de planification, etc.

  • Populations versus Populations

Ces dernières années, de nombreux grands ou mégaprojets ont été fortement impactés par des conflits aussi bien violents que pacifiques à travers des mouvements d’opposition basés sur des considérations liées au bien commun plutôt que sur des intérêts individuels. Des désaccords et divergences qui divisent une même communauté en faveur d’un tel ou tel projet pour des appartenances régionalistes, des alliances claniques,  des intérêts personnels, etc., sont souvent à l’origine de conflits inter communautaires «stupides» et interminables. Dans ce cas de figure précis, ce sont les bénéfices sociaux des grands projets qui sont largement contestés et qui font l’objet d’une opposition virulente.

Conflits internes:
Au niveau interne, le conflit  peut intervenir au sein des équipes de projets et est souvent dû à un ou plusieurs facteurs (leadership, pressions associées quant à l’atteinte des objectifs du projet, incompétence, barrières linguistiques, problèmes de communication, méthodes de travail, pratiques culturelles, habitudes, coutumes et croyances, etc.).

Ce conflit qui peut intervenir entre les différents acteurs suivants que sont entre autres les gestionnaires, les cadres supérieurs, clients, fournisseurs, membres de l’équipe, sous-traitants etc.,  impose d’importants coûts directs et indirects aux grands  projets tout au long de leur cycle de vie.

Ce conflit qui prend ses racines dans les différends et désaccords liés au management des grands projets, alimente les tensions sociales parfois susceptibles d’avoir un impact sur le contexte environnemental, économique, politique et social local dans lequel ces projets sont développés. Il peut être souvent à l’origine d’abandon d’un projet sur cinq, du taux élevé d’échecs dus aux retards, aux surcoûts et aux défauts de qualité.

Le coût du conflit dans les mégaprojets 
Le niveau élevé d’exposition des grands projets d’infrastructures au risque de conflit engendre souvent des  blocages d’activités sources d’interruptions récurrentes, des retards coûteux, des surcoûts importants.

Tous ces potentiels facteurs peuvent affecter directement la capacité d’un projet à honorer ses engagements financiers à temps échu. Etant donné que la rentabilité d’un projet donné est une fonction de délai, de coût et de qualité, ces derniers restent fortement impactés par le coût qui atténue leur rentabilité attendue.
En d’autres termes, le risque de conflit, le risque que le développement d’un projet, sa mise en œuvre ou son exploitation puissent être impactées par un conflit,  peut constituer une menace majeure pour sa solvabilité en compromettant ainsi sa rentabilité.

Bien que les investisseurs et promoteurs des grands projets introduisent des outils et techniques de gestion visant à réduire et à minimiser le risque lié aux retards, ces derniers ne sont pas encore appropriés afin d’intégrer et de prendre en compte l’évaluation et l’atténuation des impacts du risque de conflit. Cela peut s’expliquer par un vide, une carence en termes de modèles financiers pertinents et fiables permettant de quantifier et d’estimer avec précision et exactitude, les coûts qu’un projet donné pourrait engendrer à la suite de son exposition à un conflit potentiel.

À l’heure de l’émergence des économies africaines :  La prise en compte du risque de conflit dans la Gouvernance des grands projets d’infrastructures.
En résumé, les coûts directs engendrés par un conflit peuvent affecter la solvabilité ainsi que la rentabilité d’un projet, exposant ainsi les investisseurs à un degré de risque plus élevé. Les coûts indirects affecteront également les investisseurs, notamment en ce qui concerne la réputation et l’image. C’est ainsi que les investisseurs ou promoteurs entreprenant un projet controversé peuvent encourir le risque d’être tenus entièrement responsables de la capitalisation de ce projet et du conflit qui pourrait en résulter.

Le  risque de conflit est très récurrent et affecte plus d’un grand projet sur trois entrepris en Afrique et est alimenté par divers obstacles, compromis, avenants, réglementations ambigües et contraignantes, attitudes à géométrie variable des Etats.

Dans de multiples cas de figures, les contrats et autres réglementations liant les différents Etats et les partenaires étrangers et nationaux ne sont pas assez transparents ni stables et génèrent des conflits qui impactent lourdement les grands projets d’infrastructures décisifs pour atteindre les objectifs de l’émergence de certains Etats africains.

Les mécanismes et montages financiers complexes des grands projets d’infrastructures sont souvent défaillants, peu pertinents et fiables et n’intègrent pas parfais certaines réalités évidentes du contexte national. Ils engendrent des litiges, des différends qui sont à l’origine de potentiels conflits qui mettent aux arrêts ou paralysent bon nombre de grands projets.

Dès lors la perspective de la méthode participative qui requiert un consensus inclusif des différents acteurs des projets (Etats,, l’engagement et la volonté de tous de contribuer à la réussite des projets durant ses différentes phases (planification, mise en œuvre et exploitation) constitue un facteur  incontestable de participation et d’appropriation des communautés bénéficiaires, pouvant garantir fortement l’unanimité, la durabilité et la pérennité des grands projets.

Conclusion
Les grands projets d’infrastructures dont le continent a fortement besoin pour mieux asseoir son émergence sont plus que jamais exposés au risque de conflits et plus particulièrement au risque d’intervention des gouvernements. 

C’est dans cet environnement géopolitique complexe et turbulent caractérisé à la fois par une montée de tensions, de conflits, de convoitises, etc., qu’il convient de mieux maîtriser le risque de conflit voire atténuer son impact.

C’est dans cette perspective que la méthode participative qui requiert un consensus inclusif des différentes parties prenantes des grands projets (Etats, Promoteurs, Investisseurs, Populations, etc.), l’engagement et la volonté de tous de contribuer à la réussite des projets durant ses différentes phases (planification, mise en œuvre et exploitation) s’avère être incontestablement un puissant levier d’appropriation, d’amortisseur social, pouvant garantir fortement l’unanimité, la durabilité et la pérennité des grands projets. 

  • Ph.D., Doctorant Amadou Bocoum, Chercheur en intelligence territoriale
  • Ph.D., Doctorant Papa Momar Fatime AW, en Sociologie de Grands Projets.
  • Pr. Hamdouraby SY, Ph.D., Professor of Advanced Risk Management.
  • CASR 3PM ACADEMY®_ RISK _INSTITUTE N° 11_RI11_JUNE_2019/