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vendredi 19 avril 2024

Franc CFA : Messieurs les dirigeants africains, arrêtez la prostitution intellectuelle !

Nous entendons de plus en plus de leaders africains louer cette monnaie. Dernièrement, nous avons entendu un leader africain dire que « le franc CFA est notre monnaie, c’est la monnaie de pays qui l’ont librement choisi, depuis l’indépendance dans les années 60 » (…) « elle est solide, elle est appréciée, elle est bien gérée » (…) »nous sommes très, très heureux d’avoir cette monnaie qui est stabilisante ». Le débat sur cette monnaie s’intensifie de jour en jour et il est temps que nous soyons sur la même page pour éviter un débat improductif. Il a un bon côté selon certains et un mauvais côté selon d’autres. Nous allons démontrer que le franc CFA est une monnaie qui est vraisemblablement la cause de notre sous-développement entre autres raisons.
Franc CFA, une monnaie stable ?
Nous n’osons quand même pas dire que le franc CFA ne présente aucun avantage. C’est un exemple d’une coopération qui a été institutionnalisée entre la France et ses colonies partageant une histoire et une langue commune. Nous devons nous rappeler que nous avions le choix de rester dans la Zone franc ou d’en sortir. Certains pays comme le Liban, l’Algérie, la Tunisie, le Maroc, le Madagascar et la Mauritanie sont sortis de la Zone franc durant différentes périodes. D’autres pays ont décidé de rester dans la Zone et ils ont signé des accords qui régissent l’organisation de la Zone franc. Le franc CFA est une monnaie stable, et la plupart des pays membre maîtrisent l’inflation pendant que les pays non-membre se battent contre une inflation croissante. C’est le cas du Nigeria et du Ghana. Il facilite les échanges entre les pays membre, et son lien avec l’euro lui donne une crédibilité internationale, ce qui rassure les investisseurs. Cependant, il présente bons nombres d’inconvénients que les avantages semblent être invisibles.
Tout ce qui brille n’est pas or !
Essayons de donner un exemple terre-à-terre pour essayer de le faire comprendre le concept à tout le monde. Plusieurs d’entre nous ont eu à louer un appartement ou une maison et certains d’entre nous ont eu à acheter un appartement ou une maison. Si le bien immobilier vous appartient, vous pouvez modifier comme vous voulez, faire des rénovations ou habiter sans aucune finition. C’est votre bien immobilier, vous en faites ce que vous voulez. Si en revanche vous êtes un locataire, vous êtes à la merci de l’agence immobilière ou du propriétaire. Ils allument le chauffage ou l’éteignent quand ils veulent, ils réparent quand ils peuvent, vous n’avez pas trop de décision ni de pouvoir. La monnaie marche de la même manière, si vous avez votre monnaie, vous pouvez l’ajuster selon les situations, mais si vous n’avez pas votre propre monnaie, vous êtes aussi à la merci de celui qui gère votre monnaie. Il est très important pour un Etat de gérer sa propre monnaie pour pouvoir gérer l’économie de son pays. Des pays de l’Union européenne ont délaissé leur propre monnaie nationale pour une monnaie commune, l’euro, exception faite au Royaume-Uni qui n’a pas voulu délaisser sa souveraineté. Avoir sa propre monnaie donne beaucoup de pouvoir à un Etat, mais si ce pouvoir est mal utilisé, cela peut mener à des désastres. A titre d’exemple, après la Première Guerre mondiale, l’Allemagne était tenue de payer des dommages de guerre et pour le faire, elle avait imprimé beaucoup de deutsche mark créant ainsi une inflation sans précédent. Si vous vous demandiez pourquoi les Allemands étaient stricts, voilà votre réponse. Nos états Africains, sont-ils assez responsables pour ne pas tomber dans ce piège ?
L’autre danger est la fixité de parités. Pour l’instant, cela ne nous impacte que sur la surévaluation monétaire dont nous faisons face, mais, le danger se trouve dans le taux de change des autres monnaies dont nous n’avons aucun contrôle. Si jamais le dollar devient plus fort que l’euro, notre dette augmentera automatiquement sans aucun emprunt supplémentaire. L’exemple le plus utilisé est si 1 dollar = 1 euro, donc 200 milliards de dollars de dette = 200 milliards d’euros. Mais si jamais 1 dollar = 1,25 euros, la dette passe de 200 milliards à 250 milliards. Nous ne contrôlons donc pas cette dette. Maintenant certains orienteront le débat sur l’éventualité que le dollar soit plus fort que l’euro au lieu du principe.
La plupart des pays de la Zone franc n’ont pas assez de devises et cela est dû principalement à cette monnaie. Si nous exportons des matières premières à la France pour une valeur de 10 millions d’euros, la France ne nous donne pas cette devise, mais plutôt une bonne conduite sur notre compte. Si un pays non-membre de la zone Franc vend à la France des matières premières pour la même valeur, la France sera obligée de payer à ce pays 10 millions d’euros, ce qui augmentera la devise de ce pays conséquemment. Quand vous entendez que la France s’enrichit sur notre dos, c’est de cela qu’il s’agit. Car, si la France ne débourse aucune devise en traitant avec les pays membre de la Zone franc, elle utilise cet argent pour combler son déficit budgétaire et elle peut aussi utiliser cette devise pour payer sa dette. Ça ne semble pas juste ? Qui a dit que la vie était juste ? Vous voulez savoir ce qui se passera si vous refusez d’obéir à cette règle ? La France bloque tout simplement vos réserves en devises et cela se fera sentir dans le pays et créera des soulèvements, des grèves, et même des guerres civiles dans certains pays.
L’autre argument est que dans nos réserves, la France nous verse des intérêts. Ce taux d’intérêt en valeur est presque insignifiant, car nous leur octroyons nos réserves à un taux négatif. Cela ne s’arrête pas là-bas, avez-vous déjà entendu parler d’aide publique au développement que la France nous octroie ? L’intérêt qu’on nous donne est comptabilisé dans cette aide, donc ce qui veut dire que nous recevons notre propre argent, mais pas d’aide d’une manière directe. Nous avons cependant le droit de sortir de la Zone franc sans conséquence, car certains pays ont eu à le faire et ils entretiennent d’excellents rapports avec la France.
Vous vous demandiez sûrement pourquoi les PME n’ont pas accès aux financements bancaires, n’est-ce pas ? La réponse se trouve toujours derrière cette monnaie. Les banques centrales africaines doivent respecter la restriction monétaire copiée sur la banque centrale européenne. C’est pourquoi vous entendez souvent dire que c’est la France qui décide tout dans nos pays et non le président en exercice. Le nier ne serait pas chose facile.
Et maintenant ?
Vous pensez que cela doit être suffisant pour sortir de la Zone franc dès demain, n’est-ce pas ? Ce n’est pas aussi facile qu’on ne le pense, et sortir de la Zone ne signifie pas forcément se développer comme certains le pensent. Certes, les pays les plus « riches » en Afrique ont leur propre monnaie, mais sont-ils plus développés que nous ? Pas forcément. Rien ne doit se faire par coup de tête ni dans un Etat ni dans une économie, tout est un processus, car le marché est très sensible à certains changements, surtout ceux qui sont brusques. Quand l’Europe créait l’euro, l’Allemagne était l’économie la plus forte et elle avait décidé de prendre les devants, cependant, le Nigeria qui est la première économie en Afrique devrait aussi prendre les devants, cependant, il n’est pas très motivé par la création de cette monnaie unique avec les états membres de la CEDEAO. Si nous prenons les pays de l’UEMOA, il n’y a pas une économie assez forte pour diriger ce convoi. Doit-on laisser tomber dans ce cas ? Non, mais il faut que nous rectifiions pleines de choses avant de se lancer dans cette mission inconnue certes, mais possible quand même.
Et si au lieu de sortir du franc CFA dans l’immédiat, pourquoi ne reforme-t-on pas la parité ? Il faut plus de flexibilité dans la politique monétaire et nous pouvons négocier cela avec la France en attendant que nous soyons prêts pour notre propre monnaie ou une monnaie commune. Le dénominateur commun des pays de la Zone est la monnaie, donc il est primordial de ne la remplacer que par quelque chose qui est mieux. Si nous n’avons plus ce franc CFA en commun, cela pourrait nous fragiliser politiquement et cela va avec des conséquences, sommes-nous prêts pour assumer ces conséquences ? Les dirigeants qui sont en place doivent reformer la parité du franc CFA, cette parité n’est pas forcée d’être fixée sur l’euro seulement, elle peut être calculée sur d’autres bases. Think outside the box diraient les Américains, c’est-à-dire de penser autrement, en innovant.
Pour conclure, nous savons tous, autant les dirigeants africains de la Zone que le France, que le franc CFA est un frein au développement économique des pays membre. Cependant, il y a deux choses à éviter, l’une étant de vouloir sortir sans un bon plan au préalable et l’autre chose étant la prostitution intellectuelle qui n’est rien d’autre que nos dirigeants de dire et de répéter que le franc CFA est une monnaie solide. Non, elle n’est pas une monnaie solide et nous devons sortir de la Zone franc pour nous développer, mais pas d’une manière hâtive et irréfléchie. On dit souvent mieux vaut un ennemi que tu connais qu’un ami que tu ne connais pas.
Mohamed Dia, Consultant bancaire
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