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Haro sur nos liens de coopération

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Au Sénégal et en Afrique en général, la grogne monte sur les stagnations liées à la dépendance monétaire et l’insignifiance du commerce intra africain. Cette prise de conscience a insufflé de nouvelles velléités d’intégration économique et commerciale (ZLECAF) et un nouvel agenda d’autonomie monétaire (Projet avorté de la monnaie CEDAO). En même temps, les alternatives de coopération proposées par la Chine et les nouveaux pays émergents, quelque défavorables qu’elles puissent être, sont une base de fortification du pouvoir de renégociation des liens de coopération avec l’Occident.

L’Afrique dispose d’atouts importants pour tenter les alternatives. Ses richesses foncières et naturelles ainsi que la diversité des options potentielles de coopération qu’elles peuvent lui ouvrir, combinées avec cette prise de conscience de plus en plus perceptible chez les élites et les masses populaires, offrent un cadre approprié pour remodeler positivement ses liens de coopération avec les pays développés, la Chine et les autres pays émergents.

L’hypothèse de départ est qu’il ne peut y avoir de partenariat ou de coopération entre pays sans des concessions sur leur souveraineté, surtout avec les dynamiques actuelles d’intégration régionale et sous régionale. De même qu’il faut reconnaître que tout partenariat (ou coopération) entre Etats souverains repose sur la volonté mutuelle de tirer un avantage net.

Un partenariat suscite, en effet, un coût d’opportunité que ses avantages doivent plus que combler. C’est pourquoi, il convient de parler d’avantages nets. Somme toute, il est impossible pour un État ou un groupe d’États de conclure un partenariat sans risques. Quelle que soit la bonne volonté qui sous-tend un accord de coopération entre États, les réalités du Commerce international sont telles qu’une des parties peut se retrouver sans avantages significatifs.

L’Afrique s’est bien insérée dans le jeu du Commerce international en souscrivant aux règles de l’essentiel des organismes supranationaux habilités, notamment l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ses chances de réussir son émergence économique sont tributaires de ses capacités de résilience face à un climat économique mondial empreint de contraintes liées à la faible taille des économies africaines, les interférences négatives de la configuration désavantageuse de sa coopération avec l’Occident, la faiblesse de ses structures institutionnelles et organisationnelles ainsi que l’absence d’une véritable assiette industrielle.

L’application des Accords de partenariat économique (Ape) avec les pays européens et la création d’une zone de libre-échange africaine (ZLECAF) sont nécessairement les corollaires de l’industrialisation de l’Afrique, sans laquelle tout autre processus ne mènera qu’au maintien de l’échange inégal.

Après les indépendances, le maintien de la mainmise sur les matières premières africaines est une condition imparable pour la compétitivité des industries occidentales. La dynamique actuelle des marchés mondiaux ne fait que confirmer la loi du plus fort. La têtue loi des capitaux est un levier efficace de capture des dirigeants africains dans les intérêts voraces de l’Occident, et elle se sert des normes internationales taillées sur la mesure de leurs objectifs. Cela a débuté par la liquidation de tous les leaders de l’Afrique indépendante ayant initialement incarné la résistance, de Lumumba à Kadhafi, en passant par Thomas Sankara, Amilcar Cabral, Mamadou Dia, Barthélémy Boganda et d’autres.

La coopération avec la Chine et les autres nouveaux venus comme la Turquie, prend de plus en plus une mauvaise configuration qui risque de générer les mêmes effets insignifiants que la coopération avec l’Occident. La coopération chinoise en Afrique porte les mêmes germes du syndrome des incidences mitigées connues jusqu’à maintenant avec les pays occidentaux.

Avant l’appât d’un crédit largement plus facile d’accès et moins onéreux que l’aide occidentale, la Chine est au Sénégal, et en Afrique en général, une hydre insoupçonnée d’exportations diverses qui ne laisserons guère de marges d’industrialisation à l’Afrique.

Le Maroc a élargi son système bancaire un peu partout en Afrique subsaharienne, où son secteur privé s’appuie sur ce confortable réseau financier pour accaparer une bonne partie des marchés publics au détriment des entreprises locales. Au Sénégal, les marocains ont gagné pas mal de marchés publics dont celui de la citée de l’émergence en 2014, et ses investisseurs ont récupéré une bonne partie de la filière avicole (production de 500 000 poussins par semaine par l’entreprise Zallar installée à Sandiara).

L’essentiel des filières sénégalaises de l’anacarde est exploité par des américains et des indiens. La Turquie, quant à elle, accompagne son secteur privé de fonds dédiés leur permettant d’être à la fois présente sur les marchés publics et sur les IDE. L’aéroport international Blaise DIAGNE a été achevé par des entreprises turques qui sont également attributaire du marché d’exploitation. En marge de la visite du Président ERDOGAN, l’Etat Turc a exprimé son vœu de porter ses exportations vers le Sénégal de 4 millions d’Euro en 2017 à plus de 400 millions d’euros à l’horizon 2022.

L’expérience a montré que la valorisation au profit de l’Afrique des ressources naturelles africaines ne peut pas se faire avec les moyens des multinationales, qui utilisent des stratégies de forclusion sur les capitaux, les infrastructures de transports et les institutions bancaires qu’ils détiennent en majorité.

Que peut faire un producteur de Cacao ivoirien devant un importateur français appuyé par une banque puissante et détenant tous les moyens d’exploitation et de transport international ? Le premier pas à franchir pour l’Afrique est de gagner son autonomie financière et de compter sur sa propre logistique en promouvant son secteur privé et le commerce intra-africain qui est le gage incontournable de la réussite des producteurs africains.

Elhadji Mounirou NDIAYE, économiste

Enseignant-chercheur à l’Université Iba Der THIAM de Thiès.

Consultant international. (elhadjimounirou@gmail.com)

Billet d’Al Mounir (BAM N°4) du 03 mai 2021 sur ECONEWS.SN