L’immense œuvre d’Ibn Khaldun n’est connue en Europe que depuis le milieu du XIXème siècle. Néanmoins, ce n’est que dans les années 1960 que l’on commence à s’intéresser aux aspects économiques de la « Muqadimma » (« Discours sur l’histoire universelle »), avec les travaux de G.H. Bousquet (1962) et J. Spengler (1963).
L’originalité d’Ibn Khaldun est qu’il est un historien qui cherche des explications et des réponses dans la sphère économique et sociale.
Par ailleurs, l’immense majorité des auteurs étudiés jusqu’ici plaçaient l’éthique économique dans un cadre moral et théologique.
Ibn Khaldum marque ici une rupture : bien qu’il soit un homme très religieux, il adopte une démarche résolument scientifique. C’est, du reste, l’avis de Yves Lacoste, qui lui accorde un ouvrage : « En regard des penseurs médiévaux, l’originalité d’Ibn Khaldun réside non
seulement dans le modernisme de sa pensée historienne, mais aussi dans l’importance du hiatus qui existe entre sa démarche scientifique et ses convictions religieuses ».
C’est une des raisons pour lesquelles Ibn Khaldun se montre très critique visà-vis des penseurs arabes qui l’ont précédé. Il dénonce le fait que les aspects de la vie économique et sociale n’ont été examinés que par les philosophes et les théologiens dans un but normatif, ou par les juristes et administrateurs dans des préoccupations utilitaires.
La démarche rationnelle et scientifique d’Ibn Khaldun ne laisse donc que peu de place aux développements à connotation éthique, morale et religieuse. Si son apport est immense en économie (cycle des finances publiques, formation des prix, problèmes monétaires…), il se contente, en matière d’éthique économique, de démontrer le coût moral du luxe.
L’appât du gain et des richesses suscite, pour lui, des comportements d’escroquerie et de fraude, qui conduisent au règne de l’incivilité. Ainsi, la solidarité de la tribu primitive laisse place à un individualisme farouche, parti à la conquête des richesses.
Les critiques du libéralisme d’aujourd’hui ne démentiraient sans doute pas cette observation d’Ibn Khaldun.
Un autre aspect de la pensée économique d’Ibn Khladun est à souligner : celui des imperfections du marché. Il condamne l’accaparement, surtout dans le domaine des gains et des biens de première nécessité.
Certes, d’autres l’ont fait avant lui (entre autres, Al Ghazali), mais le mérite d’Ibn Khaldun est de l’assimiler à la spéculation : C’est une opération qui consiste à attendre la hausse des cours… »
Voilà un élément qui, dans le cadre de la crise actuelle et de l’émergence de la finance islamique, est tout à fait éloquent.
Par ailleurs, Ibn Khaldun réprouve les interventions de l’État sur les marchés : ce dernier lève des impôts et des taxes très élevées sur les biens et les transactions, instaurant ainsi une concurrence déloyale et bénéficiant d’un rapport de force tout à fait inégal en sa faveur.